Tour du Cap Horn - en Février-Mars

Toutes les photos : https://photos.app.goo.gl/CxvTKNnkmQfnWrVB7

Un p'tit tour, comme si vous y étiez 

A la voile du mieux qu'on a pu ou que la Patagonie nous a laissé faire ... Du moteur surtout les deux premiers jours dans le Beagle, et du ponton (Puerto Toro) les deux jours suivants. Ensuite après quelques hésitations on y va, "go, go, go" comme nous dit Sarah. Voile et moteur pour passer la fameuse baie de Nassau à si mauvaise réputation, ça s'approche. Et ce sera trois ris/trinquette pour passer devant ce fameux cap du bout du monde, respect oblige ! Les détails sont ci-dessous. Le lendemain, contre toute attente, nous pourrons faire prendre l'air à notre spinaker, qui n'avait pas bougé du coffre à voile depuis trois bons mois, la chance nous sourit .... Les petites brises des jours d'après dans le Beagle nous permettront de faire des photos de Orionde sous voile, activité très prisée par certains à bord. Et durant les deux derniers jours on fera quand même du bon plein/près serré pour rejoindre Ushuaïa, ça gîte pas mal avec 25 noeuds de vent, et on tirera même un bord devant le Paso Romanche.



Quelques animaux de Patagonie, en attendant les manchots empereurs

Avec un spécialiste à bord, la chance nous a souri de pouvoir observer de nombreux animaux, marins bien sûr mais pas que. Les plus nombreux furent les oiseaux, depuis l'oiseau charpentier avec sa tête remarquable toute rouge, en passant par le martin pêcheur, les gaviotes ou les sternes et le pingouin de Magellan, sans oublier les très nombreux cormorans, quelques Oystercatchers, un ibis à face noire et un manchot papou perdu dans une colonie de pingouins de Magellan. Il y avait aussi les albatros bien sûr, et les pétrels. En plus des oiseaux, nous nous sommes régalés avec le spectacle des dauphins et des otaries qui se sont montrés très joueurs et sauteurs à plusieurs occasions, notamment vers la sortie sud-est du Beagle, à tel point qu'on ne savait plus où donner de la tête (devant le bateau, derrière aussi, et regarde là à droite !). Les otaries ça grogne et ça a peur de nous, mais méfiance car certains mâles sont très gros, et il pourrait bien leur traverser l'esprit de défendre leur progéniture... Aussi un merveilleux cadeau  fut celui de voir à deux reprises (et de re-voir pour certains) le souffle de la baleine qui passe à 500 mètres d'Orionde, et s'éloigne après avoir sondé par un joli coup de queue. Enfin n'oublions pas les quelques petits poissons type rascasse pêchés par notre spécialiste qui les a rejetés illico presto à la mer, ni les nombreux petits centollons (cousins de la centolla), également rejetés à la mer, mais qui finiront un jour dans les assiettes de quelqu'un, et dont nous ne sommes toujours pas lassés de la saveur. Les castors, eh bien on n'en a vu que leur barrage et des traces de dents sur les bouts d'arbre qui restent après leur passage, ils sont très nombreux parait-il à sévir en Patagonie, et savent éviter de rencontrer leurs prédateurs éventuels grâce à leur vie nocturne.




Le jour J, sobrement vu par Jean-Paul



Le jour tant attendu, rêvé depuis notre tendre enfance, imaginé par les lectures de Gerbault, Slocum, Moitessier, Tabarly et tant d'autres, commença sans tarder par l'alarme retentissant au son de "kill bill" à 5h15 précises. A 5h30, équipés comme des conquistadors espagnols, nous fûmes obligés de constater que la nuit d'encre était peu propice aux manœuvres nécessaires à la libéración d'Orionde. Nous en profitâmes pour boire un café et récupérer nos lampes frontales. Après ce court répit, nous entamâmes les manœuvres d'appareillage qui s'achevèrent cinquante cinq minutes plus tard. Orionde retrouva ainsi sa liberté d'acción et arbora sa grand-voile hissée au troisième ris, le solent et son ancre lestée de trente kilogrammes de kelp.
Le vent sifflait bientôt dans les drisses, l'étrave d'Orionde s'ébrouait dans la plume d'une mer encore protégée par l'île Hermite, et l'approche du Horn commença dans un temps bouché comme une bouteille de jus de fruits dans un bar à marins.
Vers huit heures locales, apparut lentement dans la brume l'ile majestueuse aux contours encore imprécis. Tandis que le vent augmentait progressivement jusqu'à 30 nœuds établis, nous approchâmes des "cathédrales", rochers verticaux en forme de pain de sucre gardant le cap avec solennité. La beauté sauvage de cet endroit nous étrangla d'émocións. Orionde progressait vers l'est sans relâche dans cet océan pacifique haché qui a enseveli au cours des siècles tant de valeureux marins.
C'est à 09h10 que nous franchîmes le cap Horn, au moment où le soleil parut enfin. D'aucuns y verraient un clin d'œil divin, mais nous penchâmes plutôt pour une heureuse coïncidence. Quel bonheur de passer ce cap mythique dont si peu sont revenus.
Mais les éléments ne nous laissèrent aucun répit pour jouir en paix de notre nouveau statut de cap-hornier. Il fut temps de "tourner à gauche" pour remonter au nord vers des mers atlantiques moins cruelles, mais encore plus délicates. Négociant chaque vague, aveuglé par les embruns, le barreur fit route dans le paso Mar del Sur, entre les îles Herschel et Deceit, où le vent forcit dans les rafales, nous obligeant à réduire la voile à une peau de chagrin, au sens propre. Contenant difficilement nos larmes, évitant miraculeusement les écueils, contournant de justesse les pointes rocheuses, faisant face aux assauts de la mer glacée avec abnégación, Orionde se fraya son chemin jusqu'à l'ile Lennox dont la rade protégée et bienveillante nous offrit un havre de paix tranchant étonnamment avec les épreuves des heures précédentes, à notre grand soulagement.
Nous accomplîmes ensuite notre devoir de chaque escale: rendre visite à l'alcamar, officier de surveillance des eaux chiliennes, qui se révéla fort chaleureux et nous complimenta pour notre fabuleux exploit dont les échos ont résonné jusqu'à Valparaiso. C'est au retour de cette visite aussi courtoise qu'officielle que les quatre cap-hornier faillirent perdre la vie. Alors qu'une vague de taille pourtant raisonnable ramenait subrepticement la frêle embarcación vers la grève, un malentendu au sein de cet équipage d'habitude si soudé, menaça de submerger l'annexe quittant la plage, manquant de noyer dans l'oubli nos audacieux héros.
Le reste de la journée fut consacré à la narration de nos prouesses dont l'ampleur crût de manière conjointe à la descente de quelques bouteilles d'un vin local tout à fait honorable, aux vertus décontractantes parfaitement avérées.


Pour la prose complète de Jean-Paul, c'est ici : https://www.dropbox.com/s/ryy7yidrmuog0zr/TourDuHornJeanPaul.pdf?dl=0

Comme d'hab, les mails quotidiens
Beagle côté Est le 25/02/2020; Nous voilà repartis de Puerto Williams, cette fois-ci avec Didier et Jean-Paul qui nous ont rejoint hier. Grosse bouffe hier soir chez Pattie avec centolla à volonté. Direction l'est du Beagle et, si les dieux nous sont favorables le tour du Cap Horn, mais rien n'est moins sûr la météo semble fantasque. Bonne première journée, avec une colonie de manchots de Magellan, parsemée de quelques papous (des manchots pas des indigènes), une jolie caleta facile, "Caleta Los Tres Mares" et un bon fromage qui nous vient directement de France. Bisdorionde.

Beagle côté Est le 26/02/2020; Petite étape vers Puerto Toro, le village le plus austral du monde disent-ils. Et à Puerto Toro il y a un petit ponton où s'agglutinent d'innombrables bateaux de pêche sauf que la pêche est fermée pendant l'été et qu'on a donc le ponton pour nous. Les invités sont ravis, la matinée de nav a été riante, les otaries joueuses, les oiseaux pêcheurs, les dauphins sauteurs. Yves est un peu circonspect, les conditions ne sont pas bonnes pour le Horn ces jours-ci, faut attendre. Il y a plein de balades à faire à terre et on peut aller faire des ronds dans l'eau sans s'aventurer en dehors du Beagle. Ca devrait le faire Bisdorionde.


Beagle côté Est le 27/02/2020;Toujours à Porto Toro.On laisse passer la ou les dépressions. Matinée prise par les supputations et simulations autour de la future possible fenêtre météo de samedi pour approcher du Horn. Yves ira chercher des infos chez le voilier voisin FORTUNA. Son skipper a passé le Horn 50 fois ! Après-midi, une longue balade jusqu'à la belle baie de Los Piures. Et puis la récompense : 3 magnifiques CONDORS. Grandiose. Bisdorionde.


Beagle côté Est le 28/02/2020; Toujours à Porto Toro. Un peu de lessive, un peu de préparation du bateau, un peu de photos d'oiseaux, un peu de social, un peu d'aquarelle, bref on s'ennuie un peu et on a hâte (c'est peu de le dire) d'y être. Bisdorionde.


Beagle côté Est le 29/02/2020; Nous sommes partis à deux heures du matin (si si) de Puerto Toro, réveillés comme d'habitude par la sonnerie de Kill Bill. Un peu de stress dans le Paso Gorée de nuit, il est parait-il envahi par le kelp mais on n'a rien accroché. Un peu de stress dans la Baie Nassau réputée mauvaise mais le vent était comme prévu modéré et dans le bon sens. Nous voilà dans les Iles Wollaston dont l'ile Horn est celle du bas. Un peu de stress pour y rentrer par le Paso Bravo (on rappelle qu'en espagnol Bravo veut dire féroce) célèbre pour ses williwaws mais là il n'y avait que la beauté du paysage qui était sauvage. Un peu de stress pour s'amarrer dans le Puerto Maxwell, archi-plein de kelp mais c'est bon, le vent ne s'était pas encore levé. Deux bouts à l'arrière et un bout à l'avant sur un ilot pour soulager l'ancre. Mais là le bout fait 250 mètres et on a du faire quelques noeuds. Ce soir veillée d'armes. Bisdorionde.


Beagle côté Est le 01/03/2020; C'est un jour pas comme les autres, alors on écrit ce mail à huit mains. Jean-Paul : Lever 5h15 pour un appareillage au lever du jour. Nous quittons notre mouillage sauvage de Puerto Maxwell sous grand-voile à trois ris et solent dans la bruine de ce premier mars. Bien vite apparait l'île majestueuse du Horn qui constitue l'un des trois cap majeurs des tours du monde. Le vent fraichit pour s'établir autour de trente nœuds, conforme aux prévisions. Nous empannons au sud du cap Horn pour entamer notre retour, lorsque le soleil apparait très opportunément pour immortaliser nos émotions respectives. Nous admirons la beauté de ce bout du monde qui a nourri nos rêves d'enfant, avant de poursuivre l'étape de soixante milles qui nous conduit ce soir à l'ile de Lennox. Christine et Yves : voilà, cela fait quelques années qu'on en parlait, c'est fait. Et on a eu un magnifique Cap Horn, avec un vrai vent d'ouest entre vingt et trente-cinq noeuds, de quoi serrer un peu les estomacs dès la sortie de Maxwell par la toute petite porte du Paso Sur. La trinquette a vite remplacé le Solent pour être manoeuvrant dans les cailloux qui pavent les alentours de l'ile Hornos. Puis on a déboulé à 6-7-8 noeuds les 15 milles qui séparent Maxwell du Cap. De la mouscaille et de la pluie mais aussi quelques éclaircies. Quelques photos pour immortaliser la chose, un petit coucou vhf à l'alcamar qui s'enquiert de notre identité et de nos besoins, tout va bien merci. Et voilà, Cap au nord, un peu, voire bien musclé les 30 premiers milles au travers-bon plein, on a vu le 4 sur l'anémomètre dans le Paso Mar del Sur. Puis les derniers 20 milles sous le soleil. Ce soir on dort au mouillage de Lennox. Les prévisions pour les prochains jours sont plutôt anticycloniques ça va nous changer. Didier : Hé bé en voilà une journée de voile et d'émotions !! De voile avec un passage du Horn sous GV à bas ris et trinquette dans une mer formée et une houle de 3 à 4m (55° 59'59 lat. sud !!) . Et puis remontée au nord vers l'ile Lennox, très ventée au début puis paisible dans la seconde moitié de la Baie Nassau. D'émotions il y aura dans l'ordre l'appréhension (un peu), le plaisir (beaucoup), la fierté (de l'avoir fait), et la joie d'avoir partagé cela avec Christine, Yves et Jean Paul. Merci à eux.


Beagle côté Est le 02/03/2020; On a repris notre train train le long du Beagle, de Lennox à Picton, caleta Banner. On a eu une journée rare de vent à 10 noeuds au portant et sur les instances de Jean-Paul le régatier, on a sorti le spi sous le soleil féroce de ce grand sud et on est tous rouges centollas ce soir. On fait comme d'hab copain copain avec les alcamar, ces gardiens des postes isolés qui parsèment le Beagle et qui ont été le lieu de tensions fortes entre argentins et chiliens. Ils s'ennuient et sont ravis de faire la conversation. Donc demain matin, petit déjeuner à terre. Bisdorionde.


Beagle côté Est le 03/03/2020; Encore une belle journée dans le Beagle. Après un petit-déjeuner bien copieux, et une balade jusqu'au premier barrage de castors, on repart vers l'Ouest. On  retrouve dans le Beagle les otaries joueuses et une foultitude d'oiseaux, séance photo oblige. Nous voilà mouillés dans la Caleta Margarita, avec un projet de viande au barbecue sur la plage, qui semble se concrétiser sérieusement. Aie, aie, aie !  Bisdorionde.


Beagle côté Est le 04/03/2020; Voilà, ceci est le dernier mail quotidien pour les mois à venir. De retour à Puerto Williams, quelle belle croisière et quelle belle photo !  Bisdorionde.