Nous arrivons à Colon le 9 Février, et traverserons le canal les 18 et 19 Février, en ayant pris un agent (RB) qui aura été correct mais cher. Nous avons surtout apprécié de sa part les deux hand-liners qu'il nous a fourni (moyennant finance bien sûr).
L'équipage pour cette traversée de 35 milles du canal: Yves & Christine, Joël et Thomas les deux hand-liners "professionnels", Marika et Franzie deux jeunes sud-af voyageant en voilier avec leurs parents (bateau immobilisé actuellement à Shelter Bay pour réparations). Le matériel c'est 8 grosses défenses rondes et 4 amarres de 50 mètres chacune et 22 mm de diamètre.
C'est au dernier moment que l'advisor (adjoint pilote) monte à bord, et que l'on sait avec quels autres voiliers on passera le canal. Pour nous ce sera avec Adventyre (voilier anglais RAS), et Pandora voilier suisse avec qui nous avons bien échangé et sympathisé la veille durant le trajet du bus navette entre Shelter Bay et les supermarchés de Colon. Pour chaque écluse les trois voiliers seront amarrés à couple.
Nous devons monter de 30 mètres dans les premières écluses de Gatun qui sont en fait trois écluses de 9 mètres chacune. Le savoir-faire c'est le lancer de la pomme de touline par les marins du canal, qui ont cette responsabilité de viser "juste et au bon moment", pendant que les voiliers continuent à avancer dans l'écluse pour s'arrêter juste derrière le cargo qui les devance. Et bravo, ils savent très très bien faire, il parait même qu'il y a chaque année des championnats de lancer de pomme de touline !
Joël et Thomas savent très bien eux aussi manipuler les amarres et les reprendre petit à petit au fur et à mesure que l'eau monte dans l'écluse. L'eau qui monte c'est celle de l'écluse d'à côté qui se vide, celle où il y a un bateau qui passe le canal dans l'autre sens que nous, c'est astucieux non ? et ça économise bien l'eau du Rio Chagres.
Le rio Chagres il prend sa source dans les hauteurs du centre de Panama (environ 150 mètres d'altitude max) et se jette dans l'atlantique au nord-ouest de Colon. Un barrage sur ce rio a créé un lac artificiel énorme, le lac Gatun, qui permet de traverser la zone montagneuse du centre de Panama à l'horizontale. Ca aussi c'était astucieux, il fallait y penser. En fait au début les ingénieurs pensaient creuser le canal pour qu'il soit sans écluse, mais la quantité de terre à évacuer s'est vite avérée être monstrueuse. Et en plus il fallait compter le coût du creusement du canal non seulement en millions de francs, mais aussi en nombre de morts parmi les travailleurs. Ils mourraient d'accident un peu mais surtout à cause de la fièvre jaune et du paludisme. Donc c'est l'option avec écluse et barrage sur le rio Chagres qui heureusement a été retenue. On ne parle jamais des habitants qui ont dû être délogés en raison de ce lac artificiel, ils devaient être très peu nombreux et ne pas faire le poids face à l'importance stratégique du canal ..... L'histoire du canal c'est quelque chose, c'est une histoire longue mais intéressante, il y a des bons livres dessus, notamment celui de Marc de Banville qui s'intitule "Un siècle d'histoires". On y apprend : i) le rôle de Ferdinand de Lesseps, ii) le désastre de la compagnie française en partie imputable à l'ambition démesurée de ce Ferdinand, iii) comment les médecins américains, forts de leurs observations à Cuba, ont compris les modes de transmission du paludisme et de la fièvre jaune, iv) comment les américains qui avaient repris la responsabilité du creusement du canal ont utilisé les bonnes idées des ingénieurs français, et v) enfin comment les panaméens ont pu récupérer ce "bien" qui leur avait déjà apporté et leur apportera encore beaucoup de positif dans leur développement.
Ce lac Gatun donc on y passe la nuit, amarrés à une bouée, en compagnie de Pandora. Joli coucher de soleil sur le lac à 30 mètres d'altitude, rhum cubain le soir après dîner avec les copains, bonne ambiance. On n'a pas entendu les singes durant la nuit. Le lendemain matin réveil précoce (6h10) pour la longue demi-journée qui nous attend. Il est prévu que nous passions les écluses de Pedro Miguel vers 11h, et il ne faut pas trainer pour faire les 24 milles qui nous en séparent. Orionde est le navire le plus lent, on avance à 5,3 noeuds pas plus car on ne veut pas monter au dessus de 2000 tours/mn. Les autres voiliers se mettent à notre rythme. Sur le trajet nous verrons un crocodile (petit, on était un peu loin) et un opossum dans les arbres (pareil on était loin). On a le temps de papoter, et de faire la cuisine ou des petits cafés avec les délicieux cookies que Marika avait préparés.
Les advisors sont des personnes qui travaillent pour la grosse entreprise Canal de Panama (COP), l'un d'eux travaillait à la sécurité du canal, l'autre au dragage du canal. Le travail qui consiste à guider les voiliers pour le passage du canal est un travail qu'ils font en plus de leur travail habituel, ça leur fait un peu de sous en plus (400 dollars pour chaque passage). Le salaire des pilotes pour les cargos (petits et gros) est beaucoup plus important, il peut s'élever jusque 30 à 40 000 dollars, la moitié étant du vrai salaire et l'autre moitié du pourboire (donné par les armateurs), ça fait rêver ! Ce sont des personnes bien expérimentées, souvent des anciens commandants de la marine marchande, pas la peine pour un jeune de 25 ans d'espérer un tel salaire, il faut accumuler au moins 10 ans d'expérience.
Les cargos il y en a environ une quarantaine qui passent le canal chaque 24 heures, eux (contrairement aux voiliers) ils peuvent passer le canal de jour comme de nuit. Ce qui gêne la fluidité du trafic ce sont les écluses bien sûr, mais aussi l'étroitesse du canal à certains endroits comme la coupe Gaillard (ou Culebra) qui empêche les gros navires de se croiser. Et un chiffre qui nous a surpris c'est le nombre de containers sur certains cargos, pour les plus gros, il s'élève à 14000 containers sur un seul bateau. On a compté et recompté, 14 (en hauteur) fois 20 (en largeur) fois 50 (en longueur), ça fait bien le compte.
Les écluses de Pedro Miguel et de Miraflores nous permettent de descendre quelques 31 mètres d'altitude, eh oui le Pacifique est un peu plus bas que l'Atlantique, et nous voici arrivés au pont des Amériques qui signe la fin du canal et l'entrée dans la baie de Panama City. On est tous très très contents de cette entrée dans le Pacifique, corne de brume oblige.
Ce qu'on n'a pas compris c'est pourquoi Panama City est si développée, avec de plein de buildings comme à New York, et la ville de Colon est si poussiéreuse, sale et pauvre. Certains disent que c'est la faute aux habitants de Panama City qui gardent tout l'argent pour eux, d'autres la faute aux habitants de Colon (qui seraient paresseux ...?), il doit bien y avoir une explication, elle est peut-être politique, stratégie du gouvernement ou de la compagnie du canal...