Le "Drake" aller, 14-19 Janvier




Le passage au sud de l’Amérique, le passage qui fait peur, le passage que les clippers New York -San Francisco mettaient des semaines à franchir d’Est en Ouest, le passage dont on parle à voix basse au Micalvi de peur de réveiller les démons, le passage qui nous a empêché de dormir sereinement depuis notre retour au Chili, ... Nous y voilà en ce 15 janvier 2021.


Un jour avant le jeudi 14 Janvier, nous sommes partis de Puerto Williams, zarpe et pasaporte sanitario en main. Un beagle avec 20-25 noeuds de vent  de NE, plutôt rare dans ces parages. Le solent fait merveille. Quelques heures plus tard, arrêt devant la maison de l’alcamar a Lennox, on prend même une bouée. Pas question d’aller à terre, nous sommes encore en quarantaine ! De toute façon, à la VHF, l’alcamar nous dit que le « pingüino » est parti hier. Le pingüino c’est un manchot royal qui a élu domicile sur Lennox, solitaire depuis de nombreuses années et mascotte locale. Il repart en mer se nourrir de temps en temps. On l’avait déjà raté avec Didier et Jean-Paul en Février dernier.
    
Le lendemain le vendredi 15 Janvier c’est parti de bon matin, baie de Nassau avec une mer très peu agitée puis zigzags à travers l’archipel de Wollaston, puis l’ile Horn puis le cap éponyme. Un petit coucou VHF à l’alcamar qui s’ennuie ferme dans son poste vu le nombre de bateaux qui ne passent pas.

Voilà nous y sommes, 500 milles à faire vers le Sud, Orionde en a pour quatre jours. C’est facile quand on a une bonne fenêtre comme celle qui s’annonce, mais on connaît les caprices de la météo et on a un peu peur que la fenêtre se referme brutalement en nous pinçant méchamment les doigts.

Les risques, ce sont les rafales de vent à 100 noeuds dans l’entonnoir entre Amérique et Antarctique où s’engouffrent les vents d’ouest, ce sont les déferlantes sur la limite du plateau continental quand les fonds remontent de 2000 à 50 mètres en quelques milles, ce sont les glaces dérivantes, pas les icebergs de 50 mètres de haut que l’on verrait forcément mais les growlers de quelques dizaines de tonnes invisibles dans la houle ou dans la brume ou la pénombre et qui ne feraient qu’une bouchée d’un petit voiler de 12 m même en aluminium , c’est le vent fort à l’arrivée avec les vents catabatiques qui dévalent les glaciers et qui rendent l’accès aux mouillages difficile.

Nous n’aurons rien de tout ça pendant nos quatre jours de traversée. Dès que la vitesse passe en dessous de 4 noeuds, on s’appuie au moteur et on se sera bien appuyé !

Les quarts à quatre sont faciles, deux heures chacun, avec le minuteur qui vibre toutes les 10 minutes pour nous enjoindre de mettre le nez dehors pour regarder les voiles et surveiller les environs.

La température baisse inexorablement, mais on ne mettra pas le chauffage, pas très confiants dans son fonctionnement à la gite et au roulis. On passe la convergence par 61°38 (précision de Michel le routeur), on ne voit pas de vraie différence mais cette convergence est également la limite des glaces dérivantes et on accentue la veille, sans rien voir du tout (il y a de la brume), et les glaces ne dérivent pas en cette année covidesque.

Le 19 au matin le Drake est derrière nous, devant c’est les premiers icebergs et les iles couvertes de glace de l’archipel Melchior.

On va essayer de ne pas trop penser au Drake retour ...