Navegaçao de cabotagem

"Navegaçao de cabotagem", on peut dire aussi croisière côtière au Brésil.

" Navegaçao de cabotagem", c'est un petit clin d'oeil à notre auteur brésilien favori, Jorge Amado. Et si vous n'avez pas lu "Capitaines des sables" ou "Gabriela, girofle et cannelle", il faut le faire derechef. Et nous on les lit dans le texte, làlàlà  (bon là on se la pète un peu, hein ?)

Les étapes sont un peu plus longues que sur la côte d'azur, 220 milles jusqu'à Galinhos, 600 milles jusqu'à Lencois, 260 milles jusqu'à Soure, et encore 600 pour les îles du Salut en Guyane.

Ce qu'il y a de bien, c'est que le vent nous pousse toujours et que le courant nous pousse souvent (un peu moins près de la côte où les marées prennent le dessus)

Ce qu'il y a de moins bien, c'est que l'eau est boueuse de chez boueuse, pas question de voir à plus de 20 cm mais bon, elle est fraiche et il n'y a pas de piranha donc on en profite quand même.

Ce qu'il y a de bien, c'est que les mouillages sont très abrités, au fond d'un rio, on est soumis plus au courant qu'au vent et on laisse le bateau sans arrière-pensée pour aller se balader.

Ce qu'il y a de moins bien, c'est que les fonds sont faibles très loin au large (la ligne des 50 mètres passe à 30 milles au large) et qu'il y a plein de bateaux de pêche, peu ou pas éclairés, souvent mouillés et pêchant avec des filets plus ou moins dérivants qui se baladent.

Ce qu'il y a de bien, c'est que les pêcheurs sont tous des gens très sympathiques et il y a peut-être entre nous une certaine solidarité de gens de mer. En tout cas les crevettes, fraiches ou séchées/salées sont excellentes.

Ce qu'il y a de moins bien, c'est que la mer est le plus souvent hachée, surtout quand on passe la "marche" du plateau continental (on passe de 2000 à 50 mètres en quelques kilomètres).

Ce qu'il y a de bien, par rapport à notre précédente visite (en 1978), c'est que les cartes sont bonnes et que le GPS est un déstressant majeur. Avec Shieldaig, on passait la journée sur le pont avec le sextant à essayer de choper le soleil entre les (nombreux) nuages et à faire des mesures difficiles avec un astre à 80 degrés de hauteur. Maintenant c'est tranquille, on suit sur la carte, même pas besoin de scruter l'horizon à la recherche du cocotier de service. D'ailleurs je vais glisser l'idée à Google qu'il serait beaucoup plus facile de faire un google boat qu'une google car !!

De Jacaré à Galinhos, les faits marquants

a) On était avec Lise et Henrique, un peu surpris que la mer bouge nettement plus que sur le lagoa dos patos, le gigantesque estuaire sur lequel ils naviguent à Porto Alègre.
b) On s'est planté un peu sur l'heure de départ et on est allés beaucoup trop vite, et, pour ne pas arriver de nuit, on a été obligé de prendre 3 ris et de mettre la trinquette comme dans un vrai coup de vent et même on a fait trois heures à la cape.
c) On a eu la frayeur du siècle. Tout à coup, à 30 mètres droit devant, un bateau de pêche mouillé. Ne cherchons pas de responsable, on aurait tous dû jeter un coup d'oeil plus souvent. Heureusement il y a eu deux bons réflexes, débrancher le pilote et mettre le moteur. On est passé très très près de leur ligne de mouillage.
d) Pas longtemps après, on s'est pris un filet ou plutôt deux gros bidons reliés par des ficelles. Là gros avantage du dériveur intégral : on remonte l'hydro, on remonte la dérive, on remonte le gouvernail et zou, la machin se barre, ouf. Bon c'aurait été une autre paire de manche si la ficelle s'était prise dans l'hélice. Une autre fois.
e) L'atterrissage pour Galinhos, c'est le champ de plateformes pétrolières.  On ne sait pas bien si on a le droit de passer ou pas. Finalement, sur les cartes brésiliennes, c'est écrit en petit que s'il est fortement déconseillé d'y entrer, l'interdiction c'est d'approcher les structures à moins de 500m. On rentre dans le champ et on respecte  les 500m.
10 milles plus loin, le chenal d'entrée se trouve facilement, des rouges et des vertes. On se rappelle que dans cette partie du monde, on laisse les rouges à tribord quand on embouque le chenal. Par contre il y a bien peu d'eau, deux mètres tout juste et une houle qui presque déferle. On serre les fesses et là aussi avantage au dériveur.
Ensuite, c'est calme et serein jusqu'au mouillage.

De Galinhos à Lencois, quelques épisodes

600 milles rien que tous les deux, c'est la première fois depuis les Açores.

Les premières 24 heures n'ont pas été zen, le chenal, on l'a fait au moteur à un noeud contre le vent, contre le courant, contre les vagues. Le grain du petit matin suivant a été particulièrement fort et long et on s'est dit que ça allait être comme ça tout le temps et le moral, sans être en berne, n'était pas au beau fixe.

Et puis ne voilà-t-il pas qu'un machin bizarre apparait sur l'écran de l'ordi avec 6 échos AIS bien alignés deux par deux. On a cru que c'était un champ de plateformes. Bon on passe à 5 milles au nord, pas de problème. Mais on se fait sonner à la VHF (qui pour la première fois de notre vie était restée allumée) par le navire "Atlas" qui nous intime de changer drastiquement la route. On ne comprend pas, on tergiverse mais ça y est on a compris. C'est un navire poseur de câbles qui traine en surface derrière lui 10 km de câble sur lesquels il y a les fameux échos AIS. Et bien sûr on est sur une route de collision. Donc cap au sud, ça râle sur Orionde mais finalement deux heures plus tard, on reprend pépère notre cap.

Et ensuite, divine surprise, plus le moindre petit grain ni pépin pendant les 4 journées suivantes. On est grand largue ou vent arrière, avec du courant ou sans courant mais à 150 milles par jour. On arrive pile de jour et on mouille juste devant les copains.

De Lencois à Soure, journal de bord

260 miles, on mettra deux jours et des brouettes. Partis dès potron-minet du bout du bras de mer. Les pêcheurs nous ont posé un lapin, on s'était donné rendez-vous mais ils ont dû oublier que c'était Dimanche et partir à la "ville, Apicum Açu. Quelques heures de moteur pour se dégager de la baie,  on a le courant contre.

On ne va pas faire 50 milles au large pour retrouver des profondeurs de 50 m donc on restera tout le temps dans la zone des petits bateaux de pêche. Evidemment la première nuit on est entouré des dits pêcheurs, qui vont et viennent certains plus ou moins arrêtés et bien éclairés, certains avec un feu qui clignote vert rouge blanc, impossible de savoir dans quelle direction ils vont. Et finalement on pense que c'est eux qui étendent les fameux filets dérivants. Et bien entendu, on s'en paye un, le bateau s'arrête et on entend un claquement.  Ça repart mais la rotule du pilote se met à couiner. On connaît maintenant la cause, c'est le gouvernail qui n'est plus tout à fait en bas et le pilote est obligé de forcer comme une brute, nous à la main on n'y arrive plus. Là ce n'est plus Yves qui a laissé la manette de la vanne dans le mauvais sens, c'est la pastille qui sert de fusible qui a sauté quand le filet a forcé sur le safran. On savait que ça existait mais on ne savait pas bien comment se passait la réparation. A la frontale, on démonte, on comprend, on remplace et on pompe... et ça marche, ouf !!

Le lendemain, une tension s'installe sournoisement à bord au fur et à mesure qu'on approche de l'entrée de l'Amazone.

On se rappelle combien on avait galéré pendant trois jours avec Shieldaig, le phare d'atterrissage qu'on cherchait depuis 24 heures à grands coups de sextant avait coulé et heureusement on avait finalement aperçu au loin un bateau sur lequel on s'était précipité... Et c'était justement une barcasse des phares et balises qui recherchait elle aussi le dit phare. Ils nous emmènent mouiller près de la côte, mouillage épouvantable de houle et de vent et le lendemain nos nouveaux copains viennent et nous plient un chandelier en nous apportant un message (on l'a toujours, scotché dans le vieux livre de bord) décrivant la route à suivre. La chaine se casse en essayant de remonter l'ancre bloquée au fond, probablement sous un tronc. Ambiance. Mais finalement on les suit vaille que vaille avec les 12 chevaux Yanmar de Shieldaig (on en a 55 avec Orionde)on arrivera à Belem.

Tout ça pour dire qu'on y allait un peu à reculons, Christine pensait si fort "Quelle idée de revenir dans ce coin" que ça en couvrait le bruit des vagues. D'autant plus que les blogs n'étaient pas très positifs (regrouper vous à l'entrée, ne jamais mouiller, ne pas essayer d'entrer de nuit, veille à deux avec projecteur, ...)

Et finalement, tout s'est passé comme une lettre à la poste. La bouée d'atterrissage n'existe pas, mais on s'en fout, on suit notre petit bonhomme de chemin sur la carte, on tourne à gauche, on embouque le canal à minuit, il reste 50 milles, 5 heures de courant contre puis 6 heures de coutant portant et nous voilà, contents et fatigués, qui mouillons à Soure à côté de Thira, qui lui a galéré un peu plus que nous (grains, ronds dans l'eau en attendant le jour, filets).

On va passer une semaine ici et on reviendra dans quelques années pour faire le tour de cette ile de Marajo (il faut 3 semaines au minimum).

Et puis Raymond me rappelait que dans les Enfants du Capitaine Grant, les naufragés en détresse finissent par boire de l'eau de mer et miracle, elle est douce alors que nulle terre n'est en vue. Non seulement ils sont sauvés de la mort mais en plus ils savent où ils sont, car l'Amazone est le seul fleuve qui rejette l'eau douce à plus de 40 milles des côtes.