La longue remontée de l'Atlantique

Puerto Williams - Horta, c’était notre avant-dernière traversée, et ça a été la plus longue. On s’est laissé influencer  par les bateaux du Vendée Globe, qui, une fois le Cap Horn passé, disent tous « ça y est c’est fini, on est presque rentrés chez nous ». On y a cru, sauf qu’on ne navigue pas comme eux, bien sûr ….
Comme on a parcouru plus de 90 degrés de latitude, on a eu droit à beaucoup de changements de température , avec les habits ad hoc qui doivent suivre bien sûr, tout comme les suppressions puis remises de couette qui se sont succédées, et les douches bien agréables car chaudes à l’intérieur ou à d’autres moment agréablement fraîches car prises sur la jupe dehors.
6839 milles de trajet pour une route directe de 6400 milles.

 

 

A côté des messages journaliers, on va raconter d’autres impressions ici.

Les moments agréables, c’est probablement et heureusement ceux dont on se souviendra le plus. En voici quelques-uns.

  • Voir les petites îles proches du Brésil (ilha Martin Vaz et ilha da Trinidade), qui sont des îles désertes, situées à 650 milles de la côte quand même. On n’a pas pu passer tout près, on était à 25 milles d’elles environ, mais on les a prises en photo. C’était émouvant de voir de la terre après 20 jours de mer.
  • Réussir à remonter l’espadon de 2 mètres 10 de long à bord d’Orionde, après l’avoir épuisé (il était bien croché !). On a pu l’admirer à loisir dans le cockpit, le photographier et le déguster ensuite. Des rillettes, de l’espadon sous vide et quelques pots de conserves, on en aura bien profité. 
  • Quand on reçoit des nouvelles des uns et des autres par email, ça fait toujours très plaisir, et le plaisir est maximal quand ce sont des nouvelles des enfants et des petits-enfants bien sûr.
  • Regarder la mer qui est souvent très belle, observer les vols des poissons volants, ainsi que les vols des quelques oiseaux pélagiques (albatros dans le Sud, puis simples goélands), regarder les dauphins jouer avec l’étrave d’Orionde lorsqu’on n’était plus qu’à quelques centaines de milles des Açores.
  • Quelques beaux couchers de soleil, quelques très beaux ciels étoilés, mais on aurait presque l’impression d’être un peu blasés (!) de ça
  • Sortir d’un moment de navigation pénible (trop de vent, il fait trop chaud, ça bouge trop pour se laver...). Mais alors ce plaisir est relatif à une situation pénible qui s’arrête, et donc c’est ne qu’un plaisir de contraste….
  • Pouvoir lire tranquille plusieurs heures par jour, avec le livre papier dans la journée et avec le livre Kindle ou tablette ou i-phone pendant les quarts de nuit
  • Avoir bien réglé les voiles, et sentir notre cher Orionde qui avance à bonne allure, bien appuyé sur la mer

Les bruits sur le bateau, on y est très attentifs. Cela nous indique l’état de la mer, la force du vent, comment le bateau avance, et plein d’autres choses encore. En voici quelques exemples.
  • Le bruit de la rotule. La rotule c’est une pièce qui relie le pilote automatique à la barre du bateau. Il faut bien une transmission, sur une voiture l’équivalent ce serait le cardan. Là il s’agit d’une sphère qui bouge dans une coque en forme de boule/anneau creux, et quand cette rotule est usée il y a du jeu et cela cogne dans cette coque qui reçoit la sphère. C’est un bruit sourd, qui vient très nettement du pilote, bruit lancinant, qui devient donc très vite inquiétant, et qui augmente de plus en plus à l’usage… Heureusement on avait une rotule de rechange, et ni une ni deux c’est changé et ce bruit disparaît. Que c’est agréable !
  • La poulie du génois : avant d’être embarquée sur le gros winch l’écoute du génois passe dans deux poulies, et la deuxième qui est très proche du banc du cockpit fait un bruit d’enfer quand la tension sur l’écoute est assez forte. On ne veut pas relâcher cette tension, car sinon la voile ne « porterait » pas bien, alors la solution c’est de bloquer l’écoute par le taquet coinceur pour faire en sorte que ça ne tire pas trop sur la poulie. Pour ça faut le faire à deux et bien doser la quantité d’écoute que l’on relâche pour la bloquer dans le taquet coinceur. Quand ça marche c’est magique, plus de couinement aigu qui gêne le sommeil, super !
  • Le bruit du poisson volant qui agonise sur le pont d’Orionde. Pendant son quart, on est bien tranquille, tout d’un coup y a un flap flap flop, intense, puis ça s’arrête. On va voir dehors, rien. A nouveau le même bruit, est-ce qu’une voile est mal réglée ? est-ce quelque chose est tombé ? Non rien de tout ça. A force de chercher on observe, dans l’heure qui suit ou parfois le lendemain seulement, qu’en fait il s’agit juste d’un poisson volant qui se contorsionne pour essayer de repartir à l’eau, et quasi toutes les fois il a tout faux, il n’y arrive pas, on le retrouve le lendemain sur le passavant, bien retenu par le filet il ne risque pas de retourner à l’eau, et il finira dans notre assiette !
  • Le « Vrrvronch » du pilote automatique. Quand il y a pas mal de vent, quand il y a de la mer aussi, parfois le pilote se met à ronchonner. Un bruit comme s’il éternuait très fort. Il nous semble bien que Mr Etcheto de la Sté Lecombe et Schmitt nous en avait parlé de ce bruit, en nous disant que c’était normal, qu’il s’agissait des valves anti-retour du vérin du pilote. Mais on n’en est pas sûr. Et nous on n’aime pas ça un bruit bizarre dans le pilote, on craint toujours qu’il nous lâche et qu’on soit obligés de barrer tout le temps…. Alors on réduit un peu la voilure, histoire de voir si ce bruit se produit moins fréquemment. Pas évident. On reste donc avec ce bruit, qui ne se produit que de temps en temps seulement.
  • La drisse du genaker (ou du spi, c’est la même), elle couine aussi. C’est pas le même couinement que l’écoute. Elle couine fort mais seulement quand la voile est haute. On finit par s’y habituer un peu à ce couinement. Mais on a du mal à identifier d’où provient exactement ce bruit de couinement : de la poulie en tête de mât ? du piano ? entre les deux ? On ne sait pas bien. Et au final, eh bien on trouve que la drisse est assez abîmée à l’endroit où elle passe dans la poulie. Il faut qu’on rallonge cette drisse pour déplacer le point de frottement. Ce qu’on fera ….
  • L’hélice de l’hydro-générateur fait un petit ronronnement régulier, qu’on entend très bien quand on dort dans la cabine arrière, et qui nous permet de savoir à quelle vitesse on va. Quand le bruit s’éteint c’est qu’on fait moins de 3 nœuds de vitesse, peut-être donc c’est le moment de mettre le moteur pour compenser le manque de vent. Mais attention, ça peut ne pas durer cette panne de vent. Savoir attendre un petit peu n’est pas si mal.
  • L’éolienne on l’entend tourner, c’est normal et elle fait d’autant plus de bruit qu’il y a plus de vent. Et Yves ne supporte pas bien du tout ce bruit. Alors on se chamaille un peu, Christine veut toujours qu’il y ait l’éolienne en marche, pour faire de l’électricité (pdm), et Yves veut l’arrêter pour bien dormir. En tous cas c’est un  bon indicateur des 25 à 30 nœuds de vent, car là on dirait le bruit d’une locomotive qui entre en gare. Et dans cette situation de fort vent on est d’accord tous les deux pour l’arrêter cette éolienne, histoire qu’elle ne s’abîme pas à tourner trop vite.
  • Le bruissement de l’eau sur la coque enfin, ça ç’est un bruit agréable, ça berce, ça veut dire que le bateau avance comme il faut, c’est ce qu’on aime entendre !

Les emmerdements/pannes durant cette traversée, Yves dit toujours que sur un voilier on a un petit emmerd tous les jours, un moyen chaque semaine, et un gros tous les mois. On ne va pas faire des comptes d’apothicaire, mais voilà ci-dessous ce qui nous a donné du souci durant cette traversée.
  • Électricité de l’hydrogénérateur qui charge mal : toutes les prises ont été revisitées
  • Vit de mulet qui casse : il a fallu trouver un autre axe, le percer et tout remonter
  • Rotule du pilote qu’il faut remplacer par une nouvelle
  • Drisse du genaker/spi qu’il faut déplacer, puis remettre en haut du mat
  • Poulies de l’écoute de voile légère à changer
  • Support de l’hydrogénérateur qui se fissure : un renfort en aluminium est fabriqué


Les six périodes remarquables de cette traversée ont été les suivantes. Et l’on se demandera toujours si on a bien été suffisamment vers l’Est durant la première partie du voyage, et si on n’aurait pas dû aller plus vers l’Ouest durant la deuxième partie, histoire de prendre les anticyclones dans un meilleur sens quitte à faire des milles en plus, pour éviter les calmes et le vent dans le nez….

  • Près de 1500 milles dans les cinquantièmes et les quarantièmes rugissants. Ca aura été du vent soutenu sur une longue période, avec troisième ris et trinquette très souvent. Pendant près d’une semaine ce sera 30 nds et plus, avec un bon épisode à 35-45 nds nous obligeant à rester toute une nuit sous ½ trinquette seule, grand-voile affalée.  Mais pas de vague scélérate ni de mer très méchante pour nous inquiéter, les vis des planchers et des coffres n’ont pas eu à servir.
  • L’attente des premiers alizés aura été longue, douze jours à petite vitesse et donc petite moyenne journalière pour remonter de 40 degrés sud à 16 degrés sud. Du vent de NW, des grains, du calme – est-ce l’AC de St H? – navigation peu agréable, qui plus est quand le vent passe au NNE, pile de la direction de là où on veut aller.
  • Les alizés du SE se sont fait désirés puisqu’on ne les a rencontrés que tard, avec eux c’est le confort des vents ni trop faibles ni trop forts et bien établis en direction. Ils n’ont pas duré assez longtemps à notre goût, une semaine, on les regrette vite, mais c’était déjà ça de pris.
  • Le pot au noir : même quand on le passe dans sa petite largeur, c’est-à-dire pas mal vers l’Ouest, il est toujours trop long. A deux reprises on enfourne le matériel électronique (i-phone, tablette, ordinateur) dans la cuisinière à cause des éclairs. Mais plus de peur que de mal, pas de dégâts, tant mieux.
  • Les alizés du NE étaient au rendez-vous, ils nous ont obligés à serrer le vent de bien près, on le savait à l’avance,  mais on a eu de la chance qu’ils n’ont pas été trop forts. On a vécu bien penchés et tendus pendant plus d’une semaine, et on a été très contents les premières heures où on a pu retrouver la vie à l’horizontale.
  • L’anticyclone des Açores nous l’avons rencontré à partir de 20 degrés de latitude nord, beaucoup trop tôt. La prévision météo était très instable, le peu de vent était souvent en plein dans le nez, cela n’a donc pas constitué une période agréable de la traversée. Peut-être on en avait un peu marre aussi …. Et on avait gardé un peu de gas-oil en prévision, donc ça l’a fait pour arriver au port avant la dépression.


Les petits désagréments sont ceux que l’on peut citer parmi les points qui peuvent te gonfler alors que tu aurais besoin de choses plus douces pour ne pas te mettre en colère, c’est un petit coup de malchance en plus qui se rajoute au reste....
  • Te faire asperger d’eau marron de café sur ton pull quand tu laves la cafetière
  • Etre obligé de prendre de l’eau de mer dans un seau pour tirer la chasse car le bateau ne penche pas du bon côté
  • Ne rester que quelques heures seulement au bon cap et à la bonne vitesse
  • Réduire ou relancer de la voilure trop tôt car on n’a pas été assez patient devant un changement de force du vent
  • Te cogner en te faisant un tout petit peu mal chaque fois que tu te déplaces dans le bateau
  • Te faire engueuler par l’autre pour un rien juste parce qu’il est énervé
  • Renverser de l’eau douce à côté en remplissant la bouteille d’eau parce que le bateau gîte trop
  • Que la poubelle que tu pensais bien jeter par dessus bord arrive en totalité ou en partie sur le passavant au lieu de dans la mer



Parmi les mauvais points de cette longue traversée, on citera pêle-mêle, et sans vouloir s’y attarder : 

  • C’était plutôt un convoyage vers la maison plutôt qu'une croisière vers une destination rêvée, 
  • On était inquiet dans les cinquantièmes et quarantièmes d’une grosse dépression et/ou de se faire renverser par une vague, 
  • On n’a pas apprécié les vents contraires de 6 à 10 nds, déjà que t’es pas très content de mettre le moteur, là en plus tu te traînes à cause du vent et de la mer résiduelle, 
  • On n’a pas apprécié non plus le vent soutenu en continu qui empêche d’envisager une toilette digne de ce nom pendant plus d’une semaine, 
  • On a utilisé le mode « survie bannette » trop fréquemment, 
  • On a subi le mode de vie camping sans pouvoir faire  de vraie lessive (draps par exple), pendant plus de 7 semaines, 
  • La chaleur de plus de 30 degrés aux environs de l’équateur était pesante,  
  • On reste toujours inquiet face aux problèmes techniques qui peuvent survenir à tout moment, 
  • Et pour finir la déception, on s’attendait à mieux, on n’a pas eu de chance, finalement d’une navigation dangereuse on est passé à une navigation peu confortable, toujours dans l’attente de jours meilleurs, ….