Cronicas Roqueñas
(Pour ceux qui n'ont pas le temps de lire, les photos sont là)
Nous voilà partis pour quelques mois chez les latinos (Venezuela, Cuba, Panama et sans doute quelques iles du Honduras et de la Colombie).
Donc depuis quelques semaines, on se met à l'espagnol, Assimil et livres faciles et App sur l'iPhone. Pas simple d'oublier le portugais. Il faut se bousculer pour apprendre les 100 petits mots et prépositions indispensables, les 20 verbes irréguliers les plus usités et les 3 conjugaisons principales (on garde l'imparfait du subjonctif pour la traversée vers Cuba).
Première étape les Roques, un atoll de quelques milliers de pâtés de corail avec juste une ile montagneuse, le reste ne dépasse le niveau de la mer que de quelques mètres et ce sont les rares cocotiers, la mangrove et les montagnes de lambis qui donnent le relief.
Première étape donc les Roques, sous forme de révision de vocabulaire...
1. Navegación
(Pas simple de trouver le o accent aigu sur un clavier français)
On est arrivé aux Roques depuis la Martinique en moins de trois jours, le vent est bien venu comme prévu de l'est sud-est, pas trop fort. Le spi est resté en l'air une bonne douzaine d'heures, on le rentre pour la nuit histoire de ne pas l'affaler en catastrophe sous un grain inopiné. Des grains, on en a bien eu deux ou trois rempli de beaucoup de pluie mais le vent restait maniable. Atterrissage parfait, au petit matin, Gran Roque, la seule ile montagneuse du coin, se profile droit devant. Facile avec le GPS mais quand même on est content à chaque fois de trouver l'ile au bon endroit. Mouillage, il y a deux ou trois voiliers. Simbad arrivera demain.
2. Zarpe
Zarpe en espagnol, Clearance en anglais... et en français. C'est le papier miracle qui donne le droit de naviguer dans un pays. Pour l'avoir, on passe selon les cas par la Police Maritime, la Police militaire, la Police des frontières, la Douane, L'immigration, le Parc National, les Garde-côtes. Des fois on paye des fois on ne paye pas. C'est souvent un chemin de croix avec plusieurs longues stations. Règle no 1 : ne pas s'énerver, c'est facile à dire, pas toujours à faire. Règle no 2 : ne pas proposer de les aider à déchiffrer nos documents en français, ils pourraient se vexer. Règle no 3 : ne pas leur parler, ça déconcentre.
Bon ici au Venezuela, c'est très cool. D'accord on passe par quatre bureaux (GuardaCostas, Centro de Vigilancia Costera, Immigracion, Interparques). Mais ça permet de déambuler dans le village, c'est fait dans la bonne humeur avec notre espagnol débutant mais souriant. On se rappelle les mauvais souvenirs des autorités revêches par exemple à Union dans les Grenadines ou à Jacaré au Brésil.
On paye le Parc National, 100 euros pour quinze jours. Ca les vaut mais ce n'est pas certain que l'argent qu'on donne soit effectivement utilisé ici.
3. Bolos
Les bolos ou les bolivars, c'est la monnaie locale. Elle ne vaut pas grand-chose ! on change un dollar pour 800 ou 850 si on est pas audacieux (comme nous) ou 1000 bolivars si on a du talent.
Le problème c'est que le plus gros billet, c'est 100 bolivars.
Petit calcul... sachant que le parc coute 75 euros, combien faut-il de billets... Pas loin de 750... S'il fallait les compter...Heureusement, il y a des machines à compter les dits billets.
Et pour les deux bières à l'Aquarena, il faut 100 billets de 50, mais la bière locale (la "fuerte") est bonne.
4. Pueblo
El pueblo, le peuple ou le village. Celui de Gran Roque (le village donc) est magnifique, des rues de sable, un bord de mer éblouissant, juste quelques véhicules à moteur par ci par là : un camion-poubelle, un camion-citerne, un tractopelle. Des maisons colorées, des petits bougainvilliers superbes, un supermarché (le bateau passe le jeudi, donc c'est plein le vendredi), des gens souriants, avenants, prévenants, tout pour plaire. Sauf...voir paragraphe suivant
5. Perrrrrrrrrros
500 habitants mais au moins 2000 perros, des chiens tous aussi "teigneux" que Chavez. On peut ne mettre que deux 'r' à perros mais il faut les rouler comme s'il y en avait 10. Et ils le sentent bien, ces chiens, que certains d'entre nous ont peur d'eux. Et ils te font bien sentir que c'est chez eux ici dans la rue et que le mieux est que tu déguerpisses. Et dès qu'on sort du village, pour monter au vieux phare par exemple, il y a même des hordes de chiens sauvages !!! Surtout ne laissez pas le petit garçon (Baudouin de Simbad) marcher tout seul, on est prévenu.
6. Cayos
Caye(s) à la Martinique, Cay(s) aux Grenadines, Key(s) en Floride, Quis(es) ou Cayo(s) aux Roques, Patate(s) en argot de navigateur, ... C'est le corail qui pousse, qui atteint presque la surface et qui attend qu'un bateau veuille bien venir s'emplafonner dessus. On y fait donc très attention, on les regarde avec des lunettes polarisantes, on monte dans le mat pour les repérer, on les contourne prudemment. Mais quand on est mouillé, quel plaisir d'aller nager au-dessus et de regarder les poissons multicolores et les excroissances coralliennes (corail cerveau, corail bois de cerf, corail bois d'élan, corail de feu, corail fleur, corail tube, et bien d'autres)
7. Maduro
On ne peut pas dire qu'il soit aimé, ce fils spirituel de Chavez, et même on ne se cache pas pour en dire ouvertement beaucoup de mal.
Le pays va mal, très mal. Ils vont finir par importer du pétrole !! Parmi les conséquences qui nous concernent, l'augmentation de la délinquance, par exemple le rançonnage des bateaux de passage, ce qui fait que le Venezuela continental est déserté par les yachties et que même les iles (Testigos, Roques, Aves) n'ont plus la côte (haha !!). Il paraît qu'il y a une dizaine d'années il y avait 20/30 bateaux mouillés devant Gran Roque, quand on est arrivé il y en avait 4.
8. Pescado
Les Roques, c'est pour nous l'ile aux poissons. A tous les repas, à toutes les sauces, il y avait de la bonite ou du barracuda ou de la daurade coryphène ou du tazar ou du pagre ou du mérou ou de la carangue ou de la langouste ou du lambi ou même des poissons non nommés.
9. Fondeaderos
Mouillages.
On met l'ancre dans trois mètres d'eau turquoise ou dans 15 mètres d'eau bleu nuit, on se met loin des cayes ou juste entre deux bien acérées à 50 mètres, on se met dans un endroit sans moustiques ou dans un endroit infesté, on se met dans une eau calme et limpide ou dans une eau clapoteuse et trouble, on préfère la première solution mais on ne choisit pas toujours.
Florilège des mouillages pour les aficionados et pour ceux qui connaissent et pour ceux qui iront:
• Gran Roque, ses vénézuéliens adorables, ses montagnes de bolivars et ses montagnes tout court.
• Carenero, ses pécheurs assoiffés qui échangent langoustes contre cocas.
• Cayo de Agua, son eau turquoise dans laquelle Séverine et Lauric font voler leur Kite et leur planche
• Dos Mosquises, son petit élevage de tortues et ses statuettes préhispaniques
• Sarqui , son coucher de soleil dans la mer
• Noronquis Arriba, son lagon que tu te demandes pourquoi tu vas de farcir 5000 milles pour voir ceux du Pacifique
• Les Aves de Barlavento, l'ile Sur et l'ile Oeste (quelle originalité dans les noms !)
• Les Aves de Sotavento , devant les garde-côtes, voir plus loin.
10. El color del agua
Hé oui, en Espagnol couleur et eau sont masculins. Va-t'en savoir pourquoi, hein ?
En tout cas elle est bien belle cette couleur de l'eau aux Roques et aux Aves. Un camaïeu de bleus et de vert à faire pâlir de jalousie un impressionniste. On passe allègrement du bleu nuit au bleu clair puis au bleu turquoise et enfin au vert émeraude (là il faut faire attention, il n'y a plus que 2 ou 3 mètres d'eau) sans se frotter au marron clair (pour sûr on touche).
11. Botuto
C'est le nom espagnol du strombe (personne ne sait ce que c'est qu'un strombe) ou du lambi (là les papilles des antillais se réveillent).
Le lambi c'est donc un gros gros coquillage qu'on déguste en Martinique et en Guadeloupe en fricassée, en boudin et bien d'autres préparations. Sauf qu'il n'y en a plus guère aux Antilles françaises qui du coup les importent de le Jamaïque.
Il y en a encore des wagons aux Roques et aux Aves. Les coquilles vides abondent, c'est peu de le dire. On trouve des montagnes de lambis sur les iles, les pêcheurs en décorent les petits autels consacrés à la vierge qu'ils mettent sur chaque ile, les militaires (à l'instar de ceux qui peignent des cailloux en blanc chez nous) s'en servent pour délimiter les chemins de leur cantonnement.
Donc les lambis, ça se mange et on a essayé. La difficulté c'est de récupérer le muscle. Parce que si c'est facile sur une coquille Saint-Jacques bien plate, c'est une autre paire de manches sur un gros coquillage entortillonné. Quand on regarde une coquille vide, on voit bien le petit trou que le pêcheur a fait avec un tournevis ou un pic à glace (je pense plus souvent avec un tournevis). Quand on essaye de reproduire, ça ne marche pas vraiment, faut savoir compter les spires et savoir le bon sens et nous on ne sait pas. Donc on massacre la coquille jusqu'à récupérer le pied et jeter les tripailles et merdailles par-dessus bord. On enlève la peau, on coupe des lamelles, on les tapote raisonnablement avec un maillet pour les attendrir, on les fait frire 10 minutes, on rajoute de l'eau pour que ça mijote 20 minutes, on égoutte et on ressaisit dans l'huile avec plein d'ail, on peut (ou pas) rajouter du whisky. C'est prêt, un demi lambi suffit à l'apéro de quatre personnes.
12. Las Aves
Las aves ce sont les oiseaux. Ici ce sont deux archipels excroissances coralliennes à mi-chemin entre les Roques et Bonaire peuplées d'oiseaux, d'où le nom. Quel dommage cela aurait été de les zapper.
Et pourtant, le temps manque vu qu'on s'est mis (comme toujours) des dates trop rapprochées et qu'on va pas laisser Pascale se morfondre toute seule à Bonaire.
Et pourtant c'est là que Samaya, le catamaran pote de Sarah et Victor, s'est abimé (mais pas perdu) lors d'une renverse soudaine du vent (quand le vent vient de l'ouest les mouillages ne doivent pas être beaux à voir).
Donc premier arrêt aux Aves de Barlavento d'abord sur l'ile Sur puis sur l'ile Oeste a quelques encablures (au fait, je viens de le lire, une encablure = 195 mètres)
Des milliers d'oiseaux nichent et vivent dans la mangrove (qu'ils partagent avec les moustiques, apparemment en bonne intelligence). Il y a donc des mères qui couvent des petits duveteux, des ados boutonneux, des jeunes adultes qui arborent fièrement leurs pattes orange et leur bec turquoise, le tout dans une végétation verte verte constellée de fientes odorantes.
On ne se lasse pas de longer la mangrove en annexe au ralenti pour les regarder et les mitrailler... C'est presque aussi joli qu'une colonie de manchots.
Et ils ne sont absolument pas gênés par notre présence ou par le bruit du moteur (au début on ramait mais le mouvement des pagaies semble plus les déranger)
Second arrêt aux Aves de Sotavento. Belle plongée sur le tombant. On se prendrait facilement pour Jacques Maillol si ce n'est qu'après dix secondes à dix mètres on ne pense plus qu'à une chose, c'est remonter vite fait.
Il y a un poste de garde côtes, d'ailleurs il n'y a que ça comme vie humaine sur cette ile. Ils s'ennuient beaucoup alors la vérification de notre zarpe (voir plus haut) prend beaucoup de temps : Et vous avez combien d'extincteurs ? Vous m'avez dit combien la capacité du réservoir de gasoil ? Mais ils sont gentils et pas arrogants comme souvent les militaires, donc tout se passe dans la bonne humeur.
Et miracle de la technologie, il y a un wifi que l'on capte du bateau grâce à la badboy d'Orionde (un super recepteur wifi installé sur le portique qu'on a acheté la peau des fesses à Grenade mais qu'on ne regrette pas) et on peut tchéquer les mails et on est content d'avoir des nouvelles d'Orléans, de Pointe è Pitre et de la Réunion mais revers de la médaille, Séverine apprend que son grand-père ne va pas bien du tout ce qui gâche un peu notre dernière soirée (hachis parmentier de canard, caviar d'aubergines, mousse au chocolat et fricassée de lambis s'il vous plait).
On (surtout Yves comme d'hab) regrettera de ne pas avoir le temps d'explorer le lagon, de ne pas avoir le temps d'aller plonger sur la barrière de corail au vent, de ne pas avoir le temps de buller-bouquiner en regardant l'eau verte. Une autre fois peut-être, même si c'est bigrement peu probable qu'on repasse par ici.
(Pour ceux qui ont pris le temps de lire, les photos sont là)